Le Paris des Grands Hommes

Le Paris de Julien l’apostat

La cité des Parisii

6 MAI 2019

En 355, Julien dut quitter Athènes et sa vie d’étudiant-philosophe, pour se rendre à la cour de Rome, où son cousin, l’Empereur Constance II, le réclamait. La Gaule voyait ses cités tomber une à une sous le feu des tribus germaniques, et il fallait un homme fort pour y rétablir la paix et l’autorité romaine. Constance II espérait que Julien fût cet homme. Devant ses troupes, il le vêtit de pourpre, faisant de lui un César, et lui remit le commandement des armées gauloises.

 

Après une première série de campagnes victorieuses, le jeune Julien s’installa en 357 à Lutèce, l’ancienne Paris, en attendant la fin de l’hiver et la reprise des hostilités. Il nous en a laissé une description dans son Misopogon : 

 

« J’étais alors en quartier d'hiver auprès de ma chère Lutèce : les Celtes appellent ainsi la petite ville des Parisii : c'est un îlot jeté sur le fleuve qui l'enveloppe de toutes parts : des ponts de bois y conduisent de deux côtés: le fleuve diminue ou grossit rarement : il est presque toujours au même niveau été comme hiver : l'eau qu'il fournit est très agréable et très limpide à voir et à qui veut boire. Comme c'est une île , les habitants sont forcés de puiser leur eau dans le fleuve. L'hiver y est très doux à cause de la chaleur, dit-on, de l'Océan, dont on n'est pas à plus de neuf cents stades et qui, peut-être, répand jusque-là quelque douce vapeur […] : les habitants de ce pays ont de plus tièdes hivers. Il y pousse de bonnes vignes, et quelques-uns se sont ingéniés d'avoir des figuiers, en les entourant, pendant l'hiver, comme d'un manteau de paille ou de tout autre objet qui sert à préserver les arbres des injures de l'air. Cette année-là, l'hiver était plus rude que de coutume : le fleuve charriait comme des plaques de marbre. Vous connaissez la pierre de Phrygie. C'est à ces carreaux blancs que ressemblaient les grands glaçons qui roulaient les uns sur les autres : ils étaient sur le point d'établir un passage solide et de jeter un pont sur le courant. Dans cette circonstance, devenu plus dur que jamais, je ne souffris point que l'on chauffe la chambre, où je couchais, à l'aide des fourneaux en usage dans presque toutes les maisons du pays, et bien que j'eusse tout ce qu'il fallait pour me procurer la chaleur du feu. Cela venait, je crois, de ma sauvagerie et d'une inhumanité dont j'étais, on le voit, la première victime. Mais je voulais m'habituer à supporter cette température, que j'aurai dû adoucir par les moyens en mon pouvoir. Cependant, l'hiver prenant le dessus et devenant de plus en plus rigoureux, je permets à mes domestiques de chauffer ma chambre, mais, de peur que la chaleur ne fasse sortir l'humidité des murs, je recommande d'y porter du feu allumé et quelques charbons ardents. Toutefois ce brasier, si faible qu'il soit, attire des murs une vapeur si intense, que je m'endors, la tête appesantie. Je manque d'être asphyxié : on m'emporte dehors ; les médecins m'engagent à rejeter la nourriture que je venais de prendre ; il n'y en avait pas beaucoup, Dieu merci, je la rends et je me sens soulagé au point que, après une nuit tranquille, je vaque le lendemain aux affaires qu'il me plaît.

 

Ainsi vivais-je chez les Celtes, comme le Bourru de Ménandre, me faisant à moi-même la vie dure. La grossièreté des Celtes n'y trouvait rien à redire. Mais une cité florissante, heureuse, peuplée, a bien raison de s'en fâcher, elle qui ne voit chez elle que danseurs, flûteurs, mimes plus nombreux que les citoyens, et pas de respect pour les princes. » 

Giorgi Bakhia